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HISTOIRE

Un peu d'historiographie (écriture de l'histoire)...

      L'histoire est une science humaine. Par science, on entend discipline qui mène à une connaissance. En effet, ce terme vient du latin scientia ("connaissance"). Son champ d'étude est l'être humain, seul ou en communauté, comme le rappelle l'adjectif qualificatif. En tant que science, elle doit s'appuyer sur une méthodologie rigoureuse, vérifiable et reproductible. Ces méthodes sont critiquables, ce qui permet d'améliorer la production historique sans se fermer dans un dogmatisme. C'est pourquoi l'on peut qualifier les produits d'une méthodologie historienne de connaissances scientifiques. L'histoire permet donc d'obtenir des connaissances sur les hommes du passé. Or, ces connaissances varient en fonction de la méthodologie appliquée au cours des siècles :

      Etymologiquement, histoire vient du grec historiai ("enquêtes"). Le premier Grec connu à employer ce terme fut Hérodote d'Halicarnasse (Ve s. av. J.-C.), qualifié de "père de l'histoire". Pour lui, rapporter des faits passe donc par une investigation. A la fin du Ve siècle avant J.-C., l'Athénien Thucydide tente de retracer la guerre entre Athènes et Sparte dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, refusant d'accorder un quelconque crédit à la mythologie ou la rumeur. Pour lui, la vérité historique passe par la recherche et la confrontation de documents et de témoignages et seule l'impartialité sincère de l'historien peut garantir une réalité objective. Au IIe s. avant J.-C., le Grec Polybe est envoyé comme otage à Rome et rédige avec rigueur ses Histoires dans lesquels il décrit notamment l'organisation politique et militaire de la République Romaine. Sous l'Empire romain, l'histoire est instrumentalisée au service du pouvoir par des auteurs comme Tite-Live, Tacite, Suétone, Appien ou Dion Cassius.

       Durant le Moyen Age, l'histoire est au service de la religion (du latin relego/religo, "relire, relier") et principalement produite par le clergé (régulier et séculier) qui encadre les sociétés. Ainsi, suivant le modèle d'Eusèbe de Césarée (IVe s.), Bède le Vénérable écrit une Histoire ecclésiastique du peuple anglais au VIIIe siècle. L'Eglise enracine sa théologie par l'écriture. En dehors de l'hagiographie, qui fait l'apologie de la vie des saints chrétiens, les clercs produisent des annales et des chroniques qui circulent ensuite dans l'Empire carolingien. Au XIIe s., dans les scriptoria, les moines bénédictins mettent en place des archives à partir de sources historiques très diverses. Entre le XIe et le XIIIe s., les croisades constituent un sujet de propagande religieuse. Avec le développement des universités, l'histoire, factuelle, reste l'instrument des théologiens mais devient aussi celui des juristes. Parallèlement, les seigneurs laïques imitent les seigneurs ecclésiastiques et réclament des biographies qui légitiment leur dynastie ou discrédite leurs adversaires. Avec les fléaux du XIVe et XVe siècles, des chroniqueurs comme Froissart s'interrogent sur le sort des populations (peste). La guerre de Cent ans (1337-1453) soulève de nouveau la notion de nation. Avec l'imprimerie de Gutenberg, les livres se multiplient et les idées circulent entre les historiens.

      Pendant la Renaissance (XV-XVIe s.), la redécouverte de l'Antiquité amène l'historien à travailler à partir de diverses sources numismatiques (monnaies), épigraphiques (inscriptions), diplomatiques (traités)... mais l'histoire ne se dissocie pas de la géographie et des sciences naturelles. Elle se met à nouveau au service du pouvoir (Machiavel, Le Prince). L'histoire générale participe à la construction de l'Etat moderne, qui apparaît inéluctable (Etienne Pasquier, Recherches de la France, 1560), car providentielle (Bossuet, Discours sur l'histoire universelle, 1681). Le règne personnel de Louis XIV (1661-1715) asservit la culture au profit de la monarchie absolue de droit divin (cf. Jean Racine, nommé historiographe du roi en 1677). A l'inverse, le siècle des Lumières (XVIIIe s.) utilise l'histoire comme porte parole de la morale, au détriment de l'absolutisme comme en témoignent les oeuvres du théologien Fénelon, la philosophie de Montesquieu, Voltaire, Rousseau ou encore l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

      Au XIXe s., l'histoire devient une discipline à part entière qui se distingue des matières littéraires et acquiert un statut d'érudition. Les Archives Nationales (1808) et l'Ecole des Chartes (1821), qui forment les archivistes, garantissent des sources françaises fiables. Dès lors, le positivisme (1830) voit le jour avec Auguste Comte, disciple de Saint-Simon.  Il s'agit de s'appuyer sur les sciences dites "positives" (exactes) pour comprendre rationnellement l'organisation sociale (c'est la naissance de la sociologie). L'histoire connaît aussi un courant romantique (Jules Michelet et son Histoire de la Révolution française), très populaire, et s'emploie pour justifier des idéologies libérales (Augustin Thierry, Alexis de Toqueville ou François Guizot), communistes (Karl Marx et sa théorie de la lutte des classes) et nationalistes. En effet, après la guerre de 1870, l'historien allemand Theodore Mommsen, qui a participé à la Monumenta Germanicae Historica, encadré le Corpus Inscriptionum Latinarum et rédigé une Römische Geschichte (1863-1872), entre en conflit idéologique sur la notion de nation avec l'helléniste et médiéviste Fustel de Coulanges, qui patronne la Revue historique.

      Soutenue également par Ernest Renan, Hypolyte Taine et Victor Duruy, la Revue historique, fondée en 1876 par Gabriel Monod, vise d'abord à contrecarrer l'influence de la revue des questions historiques (1866), animée par des conservateurs aristocrates ultramondains légitimistes. Influencée par le positivisme et refusant une histoire au service de la politique, elle affirme l'importance du travail sur archives et la référence aux sources. Elle conduit à la formation de l'école méthodique (1897), définie par le médiéviste Charles-Victor Langlois et le contemporanéiste Charles Seignobos. On note la place centrale du document, avec une critique des sources (interne, externe, provenance, portée), et la recherche de l’objectivité (bien que l'historien soit perçu comme un "chiffonier" qui doit regrouper et interpréter les traces des faits du passé, ce qui implique d'avoir un minimum recours à son imagination). Il s'agit donc d'une approche factuelle, parfois déterministe, qualifiée d'histoire récit. Essentiellement évènementielle (politique, diplomatique, militaire), cette histoire se retrouve dans les manuels scolaires d'Ernest Lavisse qui participent activement à la formation du sentiment patriotique du début du XXe siècle.

      Durant l'entre-deux-guerres, un nouveau courant historique critique virulemment l'histoire méthodique, tant pour sa méthodologie que son approche politisée. Fondée à Strasbourg en 1929 par le moderniste Lucien Febvre et le médiéviste March Bloch (résistant torturé et fusillé en 1944), l’Ecole des Annales part du postulat que l'historien est forcément subjectif car même le fait n'est observé qu'en idée. Aussi doit-il utiliser sa subjectivité pour choisir, organiser puis analyser les faits. L'historien est celui qui interroge le passé à partir d'une problématique présente ("Histoire, fille de son temps", L. Febvre). Dès lors, l'histoire descriptive laisse la place à une histoire explicative. Cette histoire-problème s'appuie sur des sources diverses (pas uniquement écrites) et une approche comparatiste (entre plusieurs pays) avec des interactions entre l'économie et la société, et non plus seulement centrée sur la politique. Plus largement, l'histoire touche à tous les domaines (démographie, société, représentations, mentalités…) jusqu'à devenir interdisciplinaire : histoire, géographie, économie, sociologie, ethnologie, anthropologie…  Par exemple, François Simiand est historien, économiste et sociologue. C'est ainsi que l'EHESS (1975), ancienne 6e section de l’EPHE (1868), acquiert son indépendance institutionnelle, renforçant l'idée qu'une histoire du temps présent n'est possible que si l'historien est vraiment autonome.

      La deuxième génération de l'école des Annales se recentre sur l'économie et le temps long. D'une part, le moderniste Ernest Labrousse met en place une histoire sérielle et quantitative, base de la cliométrie. Il démontre ainsi le lien de cause à effet entre conjoncture économique et structure sociale, bouleversant les mentalités (cf. crises de l'Ancien Régime et Révolution de 1789). D'autre part, le moderniste Fernand Braudel, d'influence vidalienne, prend un espace plutôt qu'un personnage comme sujet d'étude (la Méditerranée à l'époque de Philippe II), réfléchit sur trois temps (court, moyen et long) et s'interroge sur les civilisations. On assiste au retour du politique (pouvoir) > la politique (événements). Le médiéviste Georges Duby, avec son Dimanche de Bouvines (1973), réintroduit l'événement, mais il s'interesse aussi au concept de représentation mentale tout en se concentrant sur la vulgarisation via le Temps de cathédrales sur TF1.  

      La 3e génération de l'école des Annales est une histoire culturelle centrée sur les mentalités collectives comme case de la structure sociale et l'usage de l'anthropologie historique. Les chefs de file de cette "Nouvelle histoire"  sont le médiéviste Jacques le Goff (Lundis de l'histoire sur France culture) et Pierre Nora (approche des mythes, mémoires, mentalités et sentiments par les événements qui ne sont pas des faits réels mais perçus) dans leur ouvrage Faire de l'histoire (1973).  Le fait historique reste plus que jamais le produit du questionnement et de l'analyse de l'historien. Le moderniste François Furet dirige l'EHESS, siège de l'école des Annales. On note également la participation du moderniste Emmanuel Le Roy Ladurie avec Montaillou, village occitan (1975) qui en fait un pionnier français de la micro-histoire (car l'étude interdisciplinaire s'applique à l'échelle locale).

       Depuis une trentaine d'années, l'histoire s'écrit de multiple manières, depuis la microstoria italienne (individualisme méthodologique) jusqu'à la Global History anglosaxone (holisme), en passant par gender history (histoire des femmes) étasunienne, l'histoire du temps présent (depuis la WWII) des contemporanéistes François Bédarida, Henry Rousso, Christian Ingrao, l'histoire de l'immigration en France (Gérard Noiriel)... Ecarté de l'école des Annales, Pierre Chaunu (Les Mardis de la Mémoire sur Radio Courtoisie) a lancé en parallèle une histoire quantitative et sérielle sur la démographie. Aujourd'hui, la Revue historique existe toujours, encadrée par la médiéviste Claude Gauvard (De grâce espéciale, 1991) et le contemporanéiste Jean-François Sirinelli (culture de masse). L'histoire s'ouvre également aux révisionnistes (qui demandent de "réviser" certains faits historiques), voire aux négationnistes (Robert Faurisson "nie", entre autres, l'existence des camps d'extermination), ce qui mène à des conflits ouverts (dans Les assassins de la mémoire, 1995, l'helléniste Pierre Vidal-Naquet va jusqu'à contester la liberté d'expression à un historien qui remet systématiquement en cause les preuves afin de nier un fait historique), qui se règlent devant les instances judiciaires (condamnation pour "contestation de crime contre l'humanité").

      Plus récemment, les crises de la globalisation soulèvent de nouvelles problématiques autour de la génétique (OGM, génome humain),  du climat (réchauffement climatique) ou encore du modèle capitalisme et de l'idéologie libérale (les crises financières et leurs répercussions économiques, sociales, politiques, mentales, culturelles...). L'histoire demeure plus que jamais la fille de son temps sans pour autant devenir la mère de la mémoire, de la commémoration ou de l'identité, individuelle ou collective.

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