GEOGRAPHIE

      La géographie, du grec (terre) et graphè (écriture) cherche à retranscrire l'espace et à lui donner du sens : milieu (au centre), territoire (approprié), environnement (autour de), paysages (vu par)... c'est-à-dire tel qu'il est aménagé, perçu et/ou vécu par l'homme. Là encore, tout comme l'histoire ou l'ECJS, la géographie appartient aux sciences humaines. L'homme demeure le principal sujet d'étude, tandis que la dimension spatiale sert d'objet d'étude. C'est à ce titre que cette discipline scientifique est enseignée avec l'histoire, constituant une seule et même matière scolaire en France. Or, cela n'est pas nécessairement le cas dans tous les pays (en Allemagne, par exemple, la géographie, considérée comme une science naturelle, est enseignée avec la SVT).

      Les premiers géographes connus sont grecs. Ecrits au VIIIe s. av. J.-C., L'Iliade et l'Odyssée confirment par leurs minutieuses descriptions des territoires grecs les connaissances d'Homère dans ce domaine. Au VIe s. av. J.-C., Thalès de Milet pose les bases de la géodésie (mesure et forme de la Terre) en tentant de calculer les dimensions terrestres par les mathématiques. Son disciple Anaximandre, maître de Pythagore, inventa le gnomon (ancêtre du cadran solaire) pour finaliser les calculs. Hécatée de Milet puis Hérodote utilisent également une géographie très descriptive. Aristote, après Platon, affirme que la Terre est ronde et la subdivise grâce aux longitudes et latitudes. A l'époque hellénistique, Eratosthène étudie les océans, continents, vents et climats avec, notamment, les effets de l'altitude. Il dessine une carte de l'écoumène (monde connu et habité) et évalue grâce à des mesures et calculs la circonférence de la Terre à près de 40 000 km, ce qui est proche de la réalité. Hipparque réalise que projeter une sphère sur un plan nécessite de déformer les distances si l'on souhaite garder les angles, et réciproquement. Il croit même en l'existence d'un continent entre les océans Atlantique et Indien. Il serait l'inventeur de l'astrolabe (outil de calcul utilisant les astres). Toujours au IIe s. av. J.-C., Séleucos de Séleucie explique le phénomène des marées par l'action de la lune et du soleil. Durant l'époque impériale, Strabon d'Amasée, au Ier s. ap. J.-C., puis Ptolémée d'Alexandrie, au siècle suivant, rédigent chacun une Géographie qui permet de connaître les limites de l'empire romain et dont les travaux sont repris à des fins administratives, économiques et militaires. A la même époque, Pausanias explore le bassin méditerranéen puis écrit à Rome sa périégèse, description de la Grèce en 10 volumes. Tout comme Ptolémée, les Chinois mettent aussi en place un système de coordonnées pour mesure leur territoire.

      Au Moyen Age, l'Occident chrétien s'enferme dans une représentation biblique du monde. Les taucartes (représentation du monde formant la lettre grecque "T" dans un cercle) font office de cartes. Orientées à l'Est, on y devine l'Asie en haut, l'Europe à gauche et l'Afrique à droite, séparées par un trait vertical (symbolisant la Méditerranée) et un trait horizontal (Danube à gauche et Nil à droite) dont la jonction est Jérusalem, ville sainte, au centre du cercle (donc du monde). A l'inverse, la civilisation arabo-musulmane : au IXe s., Ibn Khordadbeh décrit les différents peuples et provinces iraniens pour le califat abbasside (750-1258), implanté à Bagdad. Autour de l'an 1000, dans sa cartographie, le persan Al-Biruni développe une méthode de projection pour les cartes et ses calculs évaluent très justement le rayon terrestre à plus de 6 300 km. Au XIIe s., Al Idrisi d'Al Andalus réalise pour le roi chrétien Roger II de Sicile un atlas du monde avec une célèbre carte orientée au Sud. Au XIIIe s., les voyages du Marocain Ibn Battuta et du Tunisien Ibn Khaldun enrichissent l'héritage gréco-romain sur la géographie du Maghreb. C'est également au XIIIe siècle que la boussole (invention chinoise du XIIe s) arrive en Méditerranée, permettant la réalisation de portulans (cartes précises des côtes) et améliorant ainsi la cartographie. Les contacts avec l'Asie se font via les navigateurs marchands comme Marco Polo (XIIIe s.) qui retrace ses voyages dans son livre des Merveilles ainsi que par les missionnaires franciscains (Mongolie au XIIIe s. et Cathay - la Chine - au XIVe s.). Au XVe s., le cardinal Pierre d'Ailly écrit Imago Mundi, immense ouvrage de cosmographie qui inspire les explorateurs.

       Les grandes expéditions entraînent d'importantes decriptions et découvertes telles que l'Amérique foulée par Christophe Colomb en 1492. Atteignant le cap de Bonne Espérance découvert dix ans plus tôt par Bartolomeu Diaz, Vasco de Gama contourne l'Afrique et atteint les Indes en 1498. Le cosmographe allemand et navigateur Martin Behaim construit un globe terrestre. Le cartographe allemand Martin Waldseemüller publie en 1507 un planisphère où apparaît le mot America (en hommage à Amerigo Vespucci). Magellan contourne l'Amérique du Sud par le détroit qui porte son  nom et son bateau effectue la première circumnavigation (1521). En 1534, Jacques Cartier explore l'Amérique du Nord par le Saint-Laurent et revendique pour la France le Canada. Là encore, la géographie devient un outil politique. Au service de Charles Quint, le flamand Gerardus Mercator met en place un système de projection conforme (qui ne déforme pas les angles mais fausse les distances) à l'aide d'un cylindre. Ainsi, la cartographie progresse, y compris dans le monde musulman, comme en témoigne la carte de Piri Reis. Ces représentations du monde, diffusées par l'imprimerie, deviennent des aides précieuses et facilitent les déplacements des marins et leurs nouvelles découvertes, à leur tour répertoriées et revendiquées par les puissants. Dans son aphorisme "il n'est de richesses que d'hommes", Jean Bodin incarne d'ailleurs la transition entre la Renaissance (humanisme) et la période moderne en évoquant la notion de souveraineté de l'Etat (riche et puissant). Il décrit les sociétés et leur évolution dans le temps et l'espace et démontre ainsi l'importance de l'histoire et de la géographie pour une bonne gouvernance.

      A la fin du XVIe s., en Italie, Gioavanni Botero souligne l'importance de la maîtrise des statistiques (économiques, démographiques, territoriales...) pour la bonne administration de l'Etat. Au XVIIe s., le savoir géographique ancien et moderne se concentre et se diffuse par les universités (ex. de l'Allemand Philip Cluwer). Les philosophes rationnels (Francis Bacon, Galilée, René Descarte) donnent un nouveau sens à la géographie à partir de question existentielles : "pourquoi sommes-nous là et pas ailleurs ?". Cette discipline ne doit donc plus seulement être descriptive mais également explicative. Au milieu du XVIIe s., Bernhard Varenius devient le pionnier de la géomorphologie en mettant au point une description détaillée des diverses topographies terrestres. Pour lui, cette géographie physique ("naturelle") doit être distinguée d'une géographie plus humaine. Durant tout le XVIIIe siècle, la géographie s'imprègne également du naturalisme (le Français Buffon), de la pédagogie de Rousseau ou de Pestolazzi qui prône l'importance du cadre en éducation. Au XVIIe et XVIIIe s, cette science humaine s'imprégne donc des autres matières et prétend s'appuyer sur l'ensemble des disciplines depuis les sciences (naturelles, physiques, mathématiques) jusqu'à la littérature, en passant par la philosophie... Cette prétention omnipotente ne passe pas inaperçu aux yeux des monarques qui emploient la géographie au service de leur pouvoir.

      Ainsi, au début du XVIIIe s., afin de rendre la navigation plus sûre, le Longitude Act (loi anglaise) récompenserait quiconque pourrait déterminer avec certidude les fuseaux horaires. Quelques décennies plus tard, John Harrison invente le chronomètre de marine, horloge mécanique portative permettant de calculer les longitudes et supplantant alors la clepsydre. Parallèlement, l'invention du sextant, qui supplante l'astrolabe, permet de déterminer plus précisément et plus aisément la latitude. Le siècle des Lumières voit aussi les navigateurs James Cook et La Pérouse explorer le Pacifique, respectivement au nom de la couronne britannique et française. En France, Philippe Buache, géographe du roi, subdivise le globe par bassins hydrographiques et la "carte de Cassini" (ensemble de cartes réalisées par la famille Cassini) est constituée pour quadriller tout le royaume de France et connaître relief, cours et masses d'eau, forêts, villages, villes... En 1791, le Royaume-Uni crée l'Ordnance Survey, un organisme chargé de la cartographie. Ainsi, la cartographie moderne se précise, tant sur mer que sur terre. En effet, se repérer passe plus que jamais pour une nécessité politique (administration de l'empire colonial, détermination du territoire, gestion des populations), économique (établissement des routes commerciales, localisation des richesses) et religieuse (évangélisation des indigènes par les missionnaires chrétiens). Les explorateurs cherchent à remplir les blancs. A l'image de l'Amazone remontée au XVIIe s par le Portugais Texeira, au milieu du XIXe s., l'Anglais Speke découvre le lac Victoria, "source" du Nil (la véritable source se trouve en fait au Rwanda). Toutes ces découvertes alimentent des débats dans les milieux scientifiques et la géographie s'impose en Europe comme une discipline dès la fin du XVIIIe siècle. Toutefois, elle reste souvent l'auxiliaire de l'histoire ou de la philosophie.

      Ainsi, les philosophes allemands Kant puis Hegel définissent un rapport entre la nature et l'homme et utilisent la géographie comme décors de l'histoire, elle-même au service de la philosophie. Une relation est établie entre les lieux (espace) et les faits (événements), couple d'un moteur téléologique, parfois interprété comme une forme de déterminisme (avec cette idée que le lieu "déterminerait" les actes des hommes, selon une relation de cause à effet). Le philosophe Herder poursuit cette idée en liant chaque peuple à son territoire, selon le principe que chaque culture (notamment caractérisée par sa langue et son histoire) est liée à une finalité qui lui est propre. C'est dans ce contexte que l'Allemand Carl Ritter met en place la géographie moderne, en cherchant à démontrer que la nature induit des formes de sociétés. Le géographe étudie les liens entre géologie, biologie et sociologie dans un espace d'étude. Elle est très tôt liée à l'économie, lorsque von Thünen modélise l'espace d'une manière concentrique. Héritier d'une immense fortune, le naturaliste, géographe et explorateur allemand Alexander Von Humboldt parcourt le monde. Ses travaux portent sur la vulcanologie, la phytogéographie, l'ethnologie, la topographie, le magnétisme, les courants marins, la climatologie... il invente les isobares et isohyètes. Il organise ses connaissances suivant des "plans à tiroirs". Il rédige notamment un Atlas du Nouveau Monde. L'Allemagne cerne très tôt les enjeux politiques, économiques et culturels de la géographie. En 1874, le chancelier Otto Von Bismark impose même qu'au moins un poste de géographie existe dans chaque université du Reich.

       Toutefois, dans le milieu universitaire, la géographie perce plus lentement en France et au Royaume-Uni. Bien qu'utilisée par le biologiste britannique Huxley pour démontrer la théorie de l'évolution de Darwin, et pour étudier les répercussions des microéconomies sur la macroéconomie, elle reste longtemps au service d'une autre discipline. Ce sont sur ces bases que naissent la géographie, géopolitique et géostratégie modernes britanniques de Halford John Mackinder à la fin du XIXe siècle.  De l'autre côté de la Manche, la géographie s'organise par la base. Ainsi, en 1821, la première société de géographie voit le jour à Paris (elle sera imitée à Berlin, Londres, Russie, New York...), dont le premier secrétaire est Conrad Malte-Brun, géographe français qui publie la première Géographie Universelle. Les cotisations permettent de mandater des explorateurs, d'organiser des conférences, de proposer des cours particuliers, de publier des bulletins, de suivre la colonisation, de diffuser les connaissances à des fins commerciales ou intellectuelles. En fait, la géographie existe davantage dans ces sociétés de géographie que dans les Universités. Elysée Reclus, géographe très populaire et auteur de l'immense Géographie Universelle, n'a d'ailleurs jamais enseigné à l'université française. Il finance ses voyages par ses publications, notamment aux éditions Hachette. C'est encore la pression sociale qui pousse à la création de postes de géographie à la Sorbonne (1812), à l'ENS (1861), au collège de France (1868). Elle apparaît même dans les programmes scolaires de 1871, au lendemain de la défaite de Sedan (1870). Cette matière devient alors, avec l'histoire, un instrument au service de l'Etat-nation. 

      En Allemagne, l'anthropogéographe Friedrich Ratzel établit plus que jamais un lien direct entre la nature et l'homme, qui présente, selon lui, des caractéristiques répertoriables. Il différencie Naturvölker et Kulturvölker, prônant que la société la plus évoluée l'emportera (darwinisme social). Le géopoliticien Karl Haushofer poursuit ses travaux en développant la notion de puissance et de rapports force entre les peuples. Parallèlement, la géographie régionale connaît aussi un bel essor dans la première moitié du XXe s, notamment au travers des Wandervogel, groupes de jeunes qui parcourent spontanément le territoire. De même, la géographie des paysages voit le jour avec l'étude du landschaft par Auguste Meitzen, qui analyse ainsi les modifications visibles de l'espace par les sociétés. S'inspirant de Von Thünen, le géographe, sociologue et économiste Walter Christaller met en place un modèle de schémas hexagonaux, aujourd'hui géométriquement contesté, prenant en compte l'aire de marché, le seuil de production et le seuil de demande, visant à étayer une "théorie de la centralité". Ces géographes emploient les mathématiques pour constituer des maillages, treillages... simplifiés par des schémas explicatifs.

      De la même manière, le professeur de géomorphologie à Harward William Morris Davis recherche l'équation qui permettrait de calculer la vitesse de l'érosion, depuis l'orogenèse jusqu'à la pénéplaine. Toujours au XXe siècle, à travers le landscape (paysage), l'école du Middle West développe une méthode scientifique,qui contraste avec l'approche littéraire du landschaft allemand. L'école de Berkley, fondée par Carl Suer, présente une approche du landscape à mi-chemin entre ces deux courants. L'école de Chicago, derrière Robert Park, se tourne vers une géographie moins physique, plus urbaine et davantage sociologique (notion de city/loop, ségrégation entre lower/middle et upper classes). De l'autre côté de l'Atlantique, Paul Vidal de la Blache préfère la recherche de "types" (typologie) à celle de "lois". La géographie devient la synthèse obligée entre les sciences naturelles et humaines. Il associe la carte au raisonnement géographique qui intègre également une partie historique et une autre plus sociologique. Les mathématiques servent à calculer les densités qui révèlent des contraintes naturelles. Il soulève la notion de possibilisme ("la nature propose, l'homme dispose") qui supplante le déterminisme, notamment en évoquant les situations particulères. Il développe autant la géographie régionale (genres de vie, histoire, bassins hydrographiques...) que la géographie générale (relation homme/milieu, densités de population, exode rural, colonisation...). Le fondateur de la revue des Annales de géographie (1891), titre qui inspira Febvre et Bloch, publie un tableau géographique de la France (1903), premier tome de l'Histoire de France de Lavisse, et réalise une Géographie Universelle, publiée chez Armand Colin à titre posthume (1927-1948).   

      L'héritage vidalien est immense. Il lie historiens et géographes. Par exemple, Albert Demangeon, géographe rural, et Lucien Febvre travaillent ensemble sur le Rhin et le premier aide le second à fonder des Annales. Le lobbying de Vidal de la Blache sur les institutions permet à la géographie de s'ancrer peu à peu à l'université. Elle reste principalement axée sur la géographie physique (géomorphologie, climatologie, hydrographie, biogéographie), conformément aux travaux du géographe universitaire Emmanuel de Martonne, qui obtient un poste à la Sorbonne en 1909. Toutefois, Jean Brunhes rédige la géographie humaine dès 1910 et Albert Demangeon occupe une chaire de géographie humaine l'année suivante à la Sorbonne. A l'époque considérée comme trop descriptive, par opposition à une géographie physique plus "scientifique", cette géographie humaine étudie la manière dont l'homme aménage son espace, apportant des notions fondamentales telles que "site/situation", dans le milieu urbain, ou openfield/bocage, dans le milieu rural. Egalement héritier vidalien, Raoul Blanchard approfondit la géographie régionale (Alpes, Québec...) et urbaine (Grenoble, Montréal...). Les travaux de son élève Jules Bache portent sur la montagne. Quelques courants spécifiques de géographie française s'écoulent en parallèle. Pierre Gourou met en place la géographie tropicale, Jacques Ancel réfléchit sur la notion géopoliticienne de frontière (fonction et fonctionnement) et l'historien, sociologue et géographe André Siegfried développe la géographie électorale. Néanmoins, il faut attendre 1943 pour que l'agrégation de géographie existe par elle-même, Emmanuel de Martonne ayant dû négocier avec les historiens et le ministère de l'Education nationale.

      Depuis la Seconde Guerre Mondiale, influencée par les travaux des géographes allemands Von Thünen, Christaller, Alfred Weber (théorie des triangles) et August Lösch (notion de concurrence), puis par le géographe suédois Tord Palander, une "nouvelle géographie" émerge sous la forme d'une science régionale déterminante pour l'éconmie. La localisation O d'une entreprise est ainsi calculée mathématiquement par rapport aux matières premières, à la main-d'oeuvre et au marché. Dans le pays libéral et rationnel que sont les Etats-Unis, cette approche se développe dans les univesités. A l'université de Pennsylvanie, le géographe étasunien Walter Isard envisage des solutions à la saturation urbaine et cherche par les mathématiques à décongestionner des réseaux macrocéphales. Edward Ullmann, spécialiste des villes et des flux, fait adopter cette New Geography à l'Ecole de Seattle. La géographie s'affranchit petit à petit des sciences naturelles pour devenir pleinement une science humaine. F. Schaerfert rejette la démarche inductive d'une géographie idiographique (écriture sur l'unicité), incarnée par la chorographie (la géographie régionale)et propose une géographie nomothétique (tirer des "lois" générales à partir de faits constatés), basée sur une démarche hypothético-déductive. Ralayés par d'autres géographes (Brian Berry, Richard Morrill, William Garrisson...), ces géographes donnent naissance à la New Geography, une géographie quantitative, dont les répercussions sont mondiales.

      En France, la Nouvelle Géographie compte des précurseurs marginalisés dès les années 1930. A Lyon, Abel Chatelain compare les mobilités sociales et spatiales. Elève de Demangeon, Jean Gottmann invente les concept de Megalopolis et d'Archipel Métropolitain Urbain, développe la géopolitique (réseaux de relations) et travaille sur les représentations. Redécouvert récemment, Eric Dardel invente la "géographicité", ou comment l'homme se représente la Terre. Le scientifique et vulgarisateur Paul Claval diffuse largement la Nouvelle géographie venue des Etats-Unis (Collection Que sais-je ?). En conflit avec ce dernier pour des raisons idéologiques, le géographe communiste Pierre George entreprend avec ses élèves universitaires le lien entre industries et villes. Ses élèves deviennent à leur tour des maîtres (Y. Lacoste, J. Tricart, Fr. Durand-Dastès...) qui se détachent peu à peu d'une analyse marxisme. Jacqueline Beaujeu-Garnier dans Trois milliards d'hommes (1965) affirme l'importance de la démographie, tout en vulgarisant la géographie urbaine et l'aménagement du territoire de la New Geography étasunienne. Les événements de mai 1968 favorisent le renouveau géographique.

      Roger Brunet publie sa thèse sur les discontinuités géographiques cette année-là et fonde sa revue, l'espace géographique, quatre ans plus tard. Une seconde revue, Mappemonde, s'impose dans les années 1980. Financée par les socialistes, "la maison de la Géographie" voit le jour, ainsi qu'une maison d'édition. Il réalise une géographie universelle en 1990. Toutes ces mesures permettent d'assurer la scientificité de la géographie : analyser des structures de l'espace à l'aide d'outils qu'il met au point (notamment un langage chorématique pour comprendre ce qu'il y a de commun). Des concepts naissent alors tels que la Banane Bleue (mégalopole européenne) ou l'Arc Atlantique. Dès les années 1960, Yves Lacoste développe le concept de sous-développement, montre l'unité et la diversité du tiers-monde (thèse), s'intéresse à la croissance urbaine, délaisse le rural, condamne le déterminisme (causalité des conditions naturelles) et exalte les représentations comme outil de compréhension. Il cherche à expliquer les phénomènes de décolonisation. Il fonde la revue Hérodote (1976), pionnière en géopolitique, puis l'Institut français de géographie (1989). Son ouvrage, la géographie, ça sert d'abord à faire la guerre (1976) crée une rupture avec son maître Pierre George mais renouvelle profondément l'épistémologie de la géographie. Un autre conflit voit le jour avec Roger Brunet. Lacoste conteste ses chorèmes et remet en cause et sa vision économico-centrée, omettant l'influence du politique. Enfin, il met en place la projection polaire.

      Depuis une vingtaine d'années, la géographie présente diverses facettes issues de tous ces courants. La géographie régionale combine les statistiques et les SIG (systèmes d'information géographique) dont le rendu graphique par informatique permet d'obtenir des plans et cartes plus ou moins complexes (selon la problèmatique et l'espace choisis) en deux ou trois dimensions. Dans le prolongement d'Armand Frémont et de son espace vécu (1976), la géographie humaniste ou comportementale s'interroge sur la relation homme/milieu d'un point de vue psychologique plus qu'économique (les émotions priment sur la raison) : "Ici, qui fait quoi ? Pourquoi ?". Elle donne naissance à deux branches : la géographie culturelle, d'une part, qui s'intéresse au rapport homme/espace dans ses représentations (Pitt, Histoire du paysage français) et la géographie sociale, d'autre part, qui étudie les architectures de la société et ses répercussions spatiales (âge, CSP...). Centrée elle aussi sur l'aspect social, la géographie radicale, d'inspiration marxiste, qui fait du matérialisme historique le seul moteur de l'aménagement spatial, est remis en cause par les géographes français. Stimulée par la chorématique, la géographie systémique propose de décrypter à l'aide de schémas (systèmes) les relations qui lient les hommes à leur environnement. Elle cherche à établir une relation causale permettant d'expliquer l'aménagement d'un espace, notamment en faisant ressortir des cercles vertueux ou vicieux. On retrouve le souci de répondre à la description (présent), explication (passé) et évolution(s) (futur(s)) d'un territoire et de ses acteurs. La géographie n'en demeure pas fragmentée. Des synthèses, telle la face de la Terre (1988) de Philippe et Geneviève Pinchemel, rappellent que c'est à travers sa pluralité que la géographie construit son unicité.

      Forte de son histoire, riche de ses nombreuses expériences, enrichie par ses échanges avec les autres disciplines, renforcée par une méthodologie originale sans cesse perfectionnée, la géographie apparaît aujourd'hui comme indispensable à l'homme pour se repérer dans l'espace. Soeur jumelle de l'histoire, nécessaire elle-même pour se repérer dans le temps, consoeur de l'éducation civique, juridique et sociale, qui aide le citoyen à se repérer dans la cité, elle tend fraternellement la main à l'interdisciplinarité pour évoquer des champs transdisiplinaires, sans perdre son identité. Soucieuse de son intégrité, elle constitue d'ailleurs le creuset idéal pour une réflexion sur le développement durable...

 

 

 

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